René Jadot – 10e partie

Toujours la même chose

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Le 12/3/17 rien de nouveau.
Le 13/3/17 je m’occupe toute la ma-
tinée à la couture réparation de
mon pantalon etc. Si Doudou était
ici ! On nous donne ce jour quelques
cartes postales, je peux de cette
façon donner de mes nouvelles.
Le 14/3/17 j’expédie ce jour 1 carte chez
moi, 1 Lilie, 1 Marraine. Je reçois aussi
une surprise agréable : 1 mandat de 10M
de l’ami Paulin grand merci.
Le 15/3/17 un bruit circule qu’un grand
nombre d’entre nous vont descendre dans le
camp du fond. Aussi on prépare ses paquets !!
Après-midi je fabrique des ch.52 avec A53 . Massart
Nous ne quittons pas encore aujourd’hui.
Le 16/3/17 la baraque 14 descend dans
le camp du fond où l’on prend des hommes
pour la corvée et engagements, autre chose
que de retourner mais allons jusque
la fin. Ce jour je reste couché ayant une
grande inflammation de la gorg toute la
figure je suis tellement gonflé que
l’œil droit n’y voit presque plus

52 châteaux en Espagne ??
53 Adolphe

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Le 17/3/17 toujours la même chose.
Le 18/3/17 cela va mieux je puis me relever,
je fais dans l’après-midi une portion de riz con-
tenu dans le paquet que Georges a reçu
hier et dont il me fait gentiment
participer. Cela me fait grand bien
vu mon l’état où je me trouve.
Le 19/3/17 mon état est beaucoup mieux
je me compte guéri. On crie une grande
liste de réclamations où je n’y figure
pas encore, ainsi que Georges. Je suis
le cordon bleu de notre petit club.
Dans la matinée je fais cuire une ration
de haricots que nous faisons passer com-
me chasse-soupe. L’on se croirait chez
soi en goûtant ces produits. De suite
après midi je fais la même portion de
riz (sur le désir de Georges) qu’hier, faut-
il croire que cela lui goûte ma fabri-
cation. La nuit obligé de me relever pour
faire une partie de chasse54 .
Le 20/3/17 la matinée rien de nouveau.
Après la soupe du soir nous bouffons le

54va-et-vient aux toilettes

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bon riz avant le coucher. On annonce
notre prochain départ pour Münster paraît-il.
Le 21/3/17. En matinée je fabrique la dernière
portion de riz. Après-midi arrive une liste
qui nous enlève notre compagnon Adolphe.
A peine ½ h après, une seconde où nous y
figurons nous deux Georges. Nous partons
donc pour un patron je ne sais où, ni
le jour. Attendons. Mais contents de quitter
ce camp. Le 22/3/17 nous changeons encore
de baraque parmi lesquels sont com-
pris les 14 désignés pour Flensburg. Main-
tenant nous sommes renseignés. Je pars donc
avec Georges, Calvy etc. demain à 5h matin.
Le 23/3/17 étant indisposé je ne puis partir.
Je reste donc seul de Floreffe mais j’ai
toujours des amis. Je passe la visite du
docteur qui me met de l’iode.
24/3/17 départ pour Kiel à 9h. Hann. Münden,
Göttingen, Kreiensen, Freden, Elze, Sarstedt,
Hannovre, Welze(n), Bevensen, Maschen, Harburg
Hambourg-West.

 

Du 12/3 au 24/3/1917.

«Toujours la même chose » – Résignation – Inflammation dans la figure –
Départ annoncé pour Munster – Départ définitif de Cassel: pour où ?
Enfin le 24 mars 1917 : destination Kiel.

À la date du lundi 12 mars, René Jadot inscrivait dans son carnet «rien de nouveau»… à la manière du roi Louis XVI qui lui, à la veille de la révolution, notait dans son journal le 14 juillet 1789 : «rien ».
En vue d’un départ – vers Floreffe- qu’il espère proche, il se livre à quelques travaux de couture comme la réparation de son pantalon. Il envoie des cartes au pays pour annoncer son retour imminent mais surtout, surprise agréable !, il reçoit un mandat de dix marks de son ami Paulin.
Après de fausses alertes, notre déporté apprend le 21 mars qu’«ils partent pour un patron et « je ne sais où», ni le jour ». Mais il est content de quitter le camp avec son ami Georges, seul rescapé de son groupe initial.
Enfin, après un dernier changement de baraque, ils rejoignent le 22 un groupe de 14 hommes désignés pour Flensburg. En réalité, c’est le surlendemain samedi 24 mars, à 9h., qu’ils apprennent leur destination définitive : Kiel, à quatre cents kms au Nord de Cassel, à la frontière danoise…
Mais revenons un peu en arrière. Le 16 mars, René est atteint d’une «grande inflammation dans toute la figure. Il est tellement gonflé que l’œil droit n’y voit presque plus». Heureusement, il se sent mieux et se considère guéri trois jours plus tard.
Enfin, le 23, le docteur du camp le visite et lui met de l’iode. Dans l’intervalle, il a pu apprécier la solidarité de la chambrée où chacun partage les colis qu’il reçoit.
Son état semble assez satisfaisant pour qu’on l’embarque vers d’autres aventures dès le lendemain matin.

Brutalement, le 24 mars 1917, René Jadot met un point final à son carnet de notes.
La boucle est bouclée : comme il avait commencé par un trajet en chemin de fer, il se termine par un autre.
Mais il ne s’agit plus aujourd’hui d’un voyage vers l’Est, de Franière à Cassel, mais du Sud vers le Nord, de Cassel vers Kiel, sur la Baltique Un trajet de même distance, un peu plus de 400 Kms.
Là, il sera affecté au chantier naval Andersen jusqu’à la mi-mai où il sera renvoyé à Cassel pour enfin, le 28 mai, rentrer à Floreffe après un voyage de deux jours.
Pourquoi, demanderez-vous, avoir envoyé si loin et pour si peu de temps ce dernier Floreffois du transport du 27 novembre 1916, demeuré seul de son groupe dans son baraquement ?
C’est là un mystère qui reste entier et qui risque de le rester …
Mais de retour dans son cher village natale de Floreffe, René retrouve ses parents, sa promise et ses nombreux amis qui lui ont tant manqué pendant son exil lointain.
Il se mariera le quinze avril 1919 avec Aurélie Guilmain, qu’il appelle familièrement Lilie et qui lui donnera deux enfants.
Il reprendra sa carrière interrompue de comptable à la Glacerie de Franière ainsi que ses nombreuses activités dans les associations locales, sportives en particulier.
Après une vie bien remplie, il rendra le dernier soupir le 19 mai 1965 et sera inhumé à Floreffe.

Il est à noter, sur la dernière carte postale datée du 21 mai 1917, la mention ‘Zurück”, qui signifie ‘retour’ en allemand.

Lors de son passage à Kiel, René Jadot a sympathisé avec Alfred MINSART, originaire de Sauvenière (Gembloux). On peut voir, sur la carte postale ci-dessous, René Jadot à l’extrême droite. La troisième personne, en partant de la droite, marquée d’une flèche rouge est Alfred HENRY, également de Sauvenière. Remarquer, au centre, un prisonnier russe avec sa balalaïka. la légende originale de la photo dit : Groupe de déportés de Sauvenière. (Coll. L. Hoc).

La carte postale ci-dessous a été écrite par Alfred MINSART et est adressée à son ami René.

100 ans plus tard….La famille a conservé le sac de René et son arrière-arrière petite fille pose fièrement avec.

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