Floreffe – Soeur Renée PAQUET – religieuse
Une missionnaire Floreffoise en Argentine
Début février, dans un commerce de Floreffe, j’apprends par hasard au détour d’une conversation que Soeur Renée est de retour.
La connaissez-vous ? Ce nom évoque-t-il quelque chose pour certains d’entre vous ?
Désireux de vous la présenter, je me décide à la contacter afin de lui rendre visite rue Riverre où elle réside pour l’instant chez son frère Pierrot Paquet et son épouse Christiane Arnould.
C’est l’occasion rêvée de revoir la jeune fille aux cheveux bouclés née en 1949 que j’apercevais quelquefois lorsque je rendais régulièrement visite à mes grands-parents.
Renée Paquet est issue d’une famille de sept enfants dont cinq sont encore en vie. Elle m’apprend que son papa Joseph Paquet, ouvrier à la glacerie de Moustier, et son épouse Rosa Preud’homme, quittent l’avenue Reine Astrid en 1954 pour rejoindre la maison de glacerie achetée rue Riverre à Floreffe.
Dans le voisinage on le surnomme “le Blanc” pour le différencier d’un voisin portant les mêmes nom et prénom mais dépourvu d’une chevelure immaculée.
L’occasion d’évoquer les familles du quartier, à savoir Octavine dite “Tavine”, les familles Poussière, Populaire, Ledroit, Arnould, Jennes, Chapelle, Meurice, Kaisen, Bolland, Dethy, Sautois, Fivet, Duvivier, Bex, Dusart, Guisset, Bellière et Simone Puissant qui jusqu’à la fin de sa carrière professionnelle demeura avec sa fille Marie-Louise aux commandes du bistrot-épicerie “le Coq Wallon” à présent démoli, remplacé par une annexe construite par un commerçant de l’endroit.
Sans oublier les trois frères célibataires, les fermiers Ernoux, Arthur Maurice et Georges sous l’oeil bienveillant desquels bon nombre d’enfants du quartier ont dégusté cerises, prunes, pommes et autres fruits, ramassé les oeufs, pêché les têtards, tritons et salamandres ou dégusté sous le pis, le lait encore chaud lors de la traite manuelle des vaches de l’exploitation.
Renée fréquente l’école Saint-Joseph à Malonne et termine ses études primaires à l’école communale de Floreffe. Taquinée par les garçons qui souvent lui saisissent les tresses, tout de go elle décide un jour, devant sa maman étonnée, de les couper d’un coup de ciseaux, décision radicale pour mettre hors d’état de nuire les mains des importuns.
Son papa, marqué par cinq années passées dans les camps de prisonniers, travaille à la glacerie de Moustier mais sa santé fragilisée le conduit régulièrement à l’hôpital de Sainte Ode pour lui permettre de se ressourcer quelque peu. Dans un tel contexte de fins de mois pénibles, les enfants en âge de travailler contribuent solidairement aux rentrées de la maison.
En 1963, Renée travaille une année chez le boulanger pâtissier Allard à Flawinne, sept jours sur sept, de 07h00 à 19h00, sans période de congé, pour un salaire de mille francs par mois.
Au fil de la conversation, elle me rapporte des souvenirs de jeune adolescente.
“Rentrée de l’école et par après au retour du travail, elle dépanne les personnes âgées du quartier en réalisant de petits services ménagers dont les courses en période hivernale surtout. Chaque jour, elle se rend chez Monsieur Duvivier, de l’autre côté de la nationale, où sa robuste constitution vient à point pour “gérer” le troupeau de moutons, remplir les activités de jardinage et de gestion de la basse cour, le tout bénévolement à la grande satisfaction du propriétaire des lieux vu le sérieux et l’enthousiasme affichés par la jeune Renée”.
“Elle m’explique aussi que pour soigner les maux de gorge, son papa ramassait des limaces, les saupoudrait de sucre, les plaçait dans un linge et récoltait le jus que son épouse réchauffait avec des feuilles de ronces et de plantain”.
“Avec ses frères et soeurs, lors d’une balade sur le terril de la glacerie situé entre les jardins d’une partie de la rue Riverre et la Sambre, en fouillant le sol à la recherche de morceaux de verre colorés que les enfants du coin assimilaient à des pierres précieuses, quelle fut leur surprise en découvrant quasi à fleur de sol, des obus datant de la dernière guerre. Ce fut un évènement dans le quartier avec la venue de la presse et du service de déminage. Lors d’une autre période de prospection, en contrebas dans le terrain jouxtant le terril où fut construite la laiterie, au cours d’une nième reconnaissance en ces lieux qui abritaient autrefois les bâtiments de la glacerie, quel émoi voire frayeur ébranla le petit commando d’explorateurs. Tout à coup, le sol se déroba sous leurs pieds et ils se retrouvèrent quelques mètres plus bas. Rapidement remis de leurs émotions, ils se rendirent compte qu’ils avaient investi le sous-sol des bâtiments de l’ancienne glacerie. Au détour des couloirs et des locaux, ils y découvrirent du mobilier et crurent même, tels des corsaires de bandes dessinées, avoir découvert un trésor. Un grand sac dont le volume et le poids auguraient de réels espoirs, de plus en référence au nombre de pièces que l’on pouvait deviner au toucher ……. mais la valeur n’était que relative, car ce trésor était constitué d’une multitude de pièces de 25 centimes, de grandes pièces trouées en leur centre que bon nombre d’entre nous ont encore manipulées au siècle dernier”.
En 1964, Renée Paquet est engagée à l’hôpital Sainte Elisabeth comme calandreuse. Outre ses occupations dans le quartier “Riverre”, elle effectue pendant un an des prestations au “Beau Vallon” et rejoint la “Croix Rouge” de Floreffe présidée par Mademoiselle Bellière, secondée dans sa tâche par Mademoiselle Orban. Elle décroche son diplôme de secouriste après avoir assimilé les cours dispensés par le médecin chargé de cette tâche.
Elle intègre également les “Equipes populaires” de Floreffe et en sus, sous la houlette du vicaire Bechoux, elle participe aux activités de la “JOC”
L’année 1969 constitue un tournant dans la destinée de Renée qui, selon ses dires, tarde à trouver sa voie. Elle accompagne les personnes malades qui se rendent par chemin de fer en pèlerinage à Lourdes.
Elle me confie se rendre chaque jour devant la grotte et prie en espérant trouver un sens à sa vie.
Elle pense à trois options déjà orientées vers le service aux autres, à l’étranger éventuellement.
La première épouser un africain, peut-être déjà portée par l’envie de s’expatrier et offrir ses services sur un autre continent.
La deuxième, rester célibataire mais précise-t-elle pas une célibataire mal lunée, voire acariâtre, mal dans sa peau.
Et la dernière, entrer dans les ordres comme religieuse.
C’est cette troisième solution qu’elle choisit, car à peine rentrée en Belgique elle va trouver sa maman occupée à lessiver et lui annonce qu’elle a décidé de rejoindre une communauté religieuse. C’est une décision qui déplait manifestement et elle le signifie clairement à sa fille. En fait, surprise et fortement inquiète, elle craint un mauvais choix de celle-ci. En revanche, le reste de la famille ne désapprouve nullement la vocation choisie.
Renée entre pour une période “d’essai” de trois mois au couvent des Soeurs de la charité de Sainte Elisabeth. La première année, elle sera désignée postulante, pour ensuite au terme de deux ans de noviciat prononcer ses voeux.
Elle me rapporte qu’après quelques semaines, son papa porte des galettes à la réception, galettes dont elle n’a jamais vu la couleur. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle quitte Salzinnes après trois mois. Elle supporte difficilement ce monde trop fermé et se tourne vers la congrégation des “Filles de Marie de Pesche”. Le couvent est vaste, les soeurs gèrent un imposant complexe scolaire. Des antennes de cette congrégation sont situées à Namur, Flawinne, Philippeville, Marchienne-au-Pont et en trois endroits à Bruxelles.
Renée, désireuse de rester proche de ses parents préfère intégrer le noviciat de la rue Courtenay à Namur dans la paroisse de l’église Saint-Nicolas. Les journées sont bien remplies, entre les psaumes au lever du jour, la prière et l’aide assidue aux démunis de la paroisse dont de nombreux émigrés turcs conscients de l’importance de l’école des devoirs animée par leurs protectrices.
La messe quotidienne à dix-neuf heures en l’église Saint-Nicolas constitue la dernière étape de journées remplies à souhait.
Comme elle découvre la future Soeur Renée “bien dans sa peau”, de plus en plus épanouie, la maman perçoit autrement son choix et l’accepte d’autant mieux. Elle lui sera d’une aide précieuse jusqu’à la fin de sa vie en 2008.
La vie en Argentine
Pourquoi l’Argentine ?
En 1969, les trois premières Soeurs des Filles de Marie de Pesche s’envolent vers l’Argentine.
Dès 1923, des soeurs rejoignent le Congo, contribuent au développement et à la gestion d’hôpitaux, dispensaires, homes et écoles. Secouées, parfois décimées par les troubles successifs, suite aux derniers massacres de 1978, les rescapées quittent ce pays d’Afrique pour se tourner vers l’Argentine et suivre le chemin de celles déjà établies en Amérique du Sud. Une seule reste en Afrique, désirant tenter de pérenniser ce qui pouvait encore être sauvé.
Le 14 mars 1977, Soeur Renée s’envole avec trois autres (Soeurs Pascale Lombet , Mia Crabe et Thérèse Gilson) vers le sud de l’Argentine et fonde une communauté à Junin. Mais les activités essentiellement centrées sur un hôpital lui laissent un goût de “trop peu”. Les contacts s’avèrent quelque peu malaisés avec les autochtones juchés sur la montagne.
En 1979, elle rejoint Corrientes à l’opposé, dans le Nord, où pendant un an elle travaille encore en hôpital et parfait la maîtrise de la langue espagnole.
Enfin en 1980, elle se fixe à Campo Largo, un village de 4.000 habitants qui à ce jour en compte 14.000, où elle collabore au fil des années avec Soeurs Anna et Thérèse Charneux, Soeur Pascale et Soeur Yolande Plumet.
Outre ses activités sur le terrain, elle entreprend un cycle de trois ans d’études et obtient le diplôme d’infirmière, équivalent au niveau A1 belge, pour satisfaire à la législation argentine et prodiguer son art…. vacciner la population, assister le chirurgien de l’hôpital local abritant 22 lits, pratiquer des accouchements à toute heure et en tout lieu. A plusieurs reprises, il lui arrive de se déplacer à cheval pour soulager et assister ses patients dans les villages avoisinants.
Elle me décrit l’opération pratiquée sur un homme lardé d’une quarantaine de coups de couteaux déposé à l’hôpital quasi exsangue. Une transfusion de sang est réalisée “en direct”, de donneur à receveur. Pendant ce temps le chirurgien s’affaire à protéger les organes vitaux et Soeur Renée suture les multiples plaies.
Seule religieuse à l’heure actuelle, avec une équipe de douze personnes elle continue à veiller sur les enfants de la rue, enfants malades, enfants pauvres et parmi les pauvres … les plus pauvres sont choisis. Un choix malaisé s’il en est vu le taux grandissant de misère dans cette province de “Chaco”, une des plus précarisées d’Argentine.
Le nombre d’enfants “privilégiés” est d’une centaine … parmi des centaines, car la marge de manoeuvres limite le dévouement et l’assistance à une minorité de malheureux. Ceux qui ont la chance d’être pris en charge doivent produire un effort, à savoir se rendre à l’école de 13 heures à 17 heures. En Argentine, le programme scolaire prévoit quatre heures de cours quotidiens.
Le fait de fréquenter l’école leur permet d’être accueillis le matin entre 08h00 et 12h30 dans la “Casa del Sol” et de la sorte, être nourris et participer aux activités qui leur sont proposées.
La maman de Soeur Renée est la marraine du Home Saint-Joseph ainsi nommé en souvenir de son papa décédé en 1984 à l’âge de 70 ans. Le home aussi baptisé “Les Spiroux” est inauguré en 1994. Pourquoi donc “Les Spiroux” ?
A l’initiative de cinq jeunes de Spy (Noelle, Laurence, Sylvie, Marie, Michel) et du curé de la paroisse, des tonnes de papier sont récoltées et vendues. Avec l’argent reçu, la construction du bâtiment peut débuter et le projet avance significativement. En un geste symbolique, ces jeunes gens, quatre filles et un garçon, se rendent sur place pour participer à l’achat et au transport des premiers matériaux . Dans le mortier lors de la pose de la première pierre le 08-12-1988, la “médaille miraculeuse” est déposée, signe d’espoir de finaliser ce projet. Il le sera progressivement grâce aux aides et à la détermination des personnes en place et de leur équipe située en Belgique.
Ne bénéficiant d’aucune aide du gouvernement argentin, elle se tourne vers son pays natal qui lui envoie en priorité des vêtements essentiellement pour les enfants et adolescents fortement dépourvus dans ce domaine. Le papa et la maman lui envoient en 1980 par chemin de fer et bateau les premiers colis qui arrivent à destination via Buenos Aires.
Au fil des ans, une équipe s’est organisée pour collecter les vêtements en différents endroits de Wallonie à savoir, Floreffe, Franière, Malonne , Flawinne, Gembloux, Pesche, Nafraiture, Hun, Arlon , Rochefort, Gesves et Jumet. Avant l’envoi, tout est centralisé au domicile de son frère Pierrot et son épouse Christiane, aidé de leurs voisins Monsieur et Madame Jacquet, qui par ce biais expédient chaque année un conteneur rempli d’habits de toutes tailles à Campo Largo.
A ce jour encore, dès l’arrivée du conteneur attendu par la population, les vêtements sont revendus à très bas prix, quelques pesos. Pour une chemise neuve, le prix est fixé entre 5 et 10 pesos. Dans un magasin de vêtements 900 à 1200 pesos sont réclamés pour un article de ce type.
Un euro correspond environ à 17 pesos.
L’équipe en place préfère vendre les “articles” récoltés à un prix dérisoire au lieu de les céder gratuitement pour éviter un paternalisme excessif et sauvegarder la dignité des autochtones.
Dans ce quartier, pas de cinéma, théâtre bistrot ou autre loisir qui sont légion dans nos pays. Aussi, trois terrains sont aménagés depuis quelques mois pour les footballeurs en herbe et les adultes. Pour ces derniers une faible contribution de 50 pesos est réclamée de façon à participer aux frais de fonctionnement. Le maigre bénéfice éventuel est réservé également à l’achat de légumes pour les repas des enfants. Le fair-play et le respect sont de mise, condition impérative pour fouler la pelouse du “club”. Chaque équipe, en fin de partie, offre une boisson à ses adversaires, c’est la règle, la tradition.
La population lui témoigne sa reconnaissance, bon nombre de ses ex-pensionnaires viennent la saluer et mettre la main à la pâte. Dans le quartier, on s’entraide dans la bonne humeur, le sourire constitue le ciment, le dénominateur commun.
Tous les deux ans, notre Soeur Floreffoise revient saluer la famille et profite du séjour pour rencontrer tous les bénévoles acquis à sa cause tout en donnant des conférences dans la plupart des communes citées ci-dessus de façon à sensibiliser les personnes qui souhaiteraient contribuer financièrement aux actions développées par les Soeurs de Pesche dans cette province démunie d’Argentine.
Le douze février dernier, selon la tradition lors du retour au pays, plus de deux cents convives venus de tous horizons participent au traditionnel repas servi dans le réfectoire de l’abbaye permettant ainsi à Soeur Renée de dynamiser plus encore l’aide aux plus démunis de Campo Largo.
A l’une de mes ultimes questions, m’étonnant de sa tenue vestimentaire, elle me précise que suite à Vatican II les ecclésiastiques étaient tout à fait libres quant au type d’habillement, et de ce fait elle n’a jamais porté le voile. Son souhait, être enterrée en Argentine mais si elle décède lors d’un séjour en Belgique elle ne pourra qu’accepter le repos en terre natale, me dit-elle.
Pendant nos conversations, Soeur Renée s’est “dévoilée”. J’ai rencontré une personne au caractère bien trempé, ouverte, dynamique, battante et sensible, dont le franc-parler et la spontanéité m’ont convaincu qu’en consacrant sa vie aux enfants nécessiteux les plus démunis de cette planète, elle a vraiment trouvé sa voie, comme elle l’a confirmé en clôturant notre entrevue.
Outre le témoignage de la Soeur Renée que je remercie, ci-après celui de Marita, une habitante de Campo Largo qui a envoyé cette lettre publiée dans un périodique par Monsieur Marc GOFFIN de Gembloux en janvier 2016. Cliquez pour prendre connaissance du contenu de cette lettre
Rédigé par Michel Barbier
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