Franière – guerre 40-45 – Amand LAURIERS – prisonnier

Introduction

28 mai 1940 : après dix-huit jours d’âpres combats contre l’invasion allemande, l’armée belge met bas les armes et capitule pour éviter un massacre inutile de ses soldats. Pour ceux-ci, c’est une longue période de captivité qui commence.

Amand Lauriers, soldat au Ve régiment d’artillerie de la 8è division d’infanterie, se rend aux Allemands à Gand, le 29 mai: il ignore encore ce jour-là le sort qui l’attend.

Nous avons pu obtenir de sa fille Josette quelques lettres précieusement conservées dans la famille que son père avait adressées à ses parents et à sa femme pendant sa captivité qui se terminera à la libération du camp le 20 avril 1945. Nous vous les proposons en lecture, en fin d’article, non sans avoir essayé d’en résumer l’essentiel.

Fêtes de la libération à Franière.

Ressortons-en d’abord ce qui constitue des constantes pour tous ceux, prisonniers ou déportés, qui ont été écartés de force de leurs foyers pendant plusieurs années.

Ainsi par exemple, la nostalgie lancinante liée à l’éloignement des personnes aimées, conjoint, enfants, parents, amis et proches. Le prisonnier Amand ne peut s’empêcher de regretter de ne pouvoir vivre avec les siens les événements familiaux notamment : ici en l’occurrence, la communion privée de sa fille aînée, Odette. A certains moments, le cafard prend le dessus et Amand ne peut dissimuler ces instants de découragement, malgré une volonté sans faille de supporter courageusement cette épreuve.

Il y a également – quoi de plus normal ? – les demandes de nouvelles du pays ou de la santé des proches. Quant à lui, il se dit «toujours en bonne santé et bien soigné.» Comme il n’a pas un caractère à se plaindre ou à gémir sur son sort, peut-être cache-t-il ses problèmes éventuels pour ne pas alarmer sa famille qui serait bien en peine en tout état de cause de le soulager.

Le système postal semble bien fonctionner dans les deux sens: le prisonnier reçoit des colis et envoie parfois aussi de l’argent à sa famille. Le 2 avril 1944, il se plaint toutefois d’être sans nouvelles depuis près de quatre semaines, un retard qui paraît exceptionnel.

Mais Amand a aussi des soucis qui lui sont personnels : ainsi, au premier chef, le tabac. Manifestement, ce manque revient tel un leitmotiv dans plusieurs de ses lettres.

Ne plus pouvoir s’adonner à la pêche, son passe-temps favori, le taraude également et il ne peut s’empêcher de questionner : «Y a-t-il beaucoup de poissons à Franière?». Et aussi, le fait de réclamer de la «soie tortue», spécifiquement utilisée par les pêcheurs, montre là encore sa passion pour ce loisir.

Sans aucun doute, notre prisonnier est bien traité dans l’exploitation agricole où il est affecté pour le travail obligatoire. A tel point qu’un fermier le considère comme son fils et qu’un autre lui confie le soin de conduire ses enfants à l’école en mettant cheval et traîneau (en hiver) à sa disposition. D’autre part, le travail «n’est pas trop dur» puisqu’il y a même une machine à traire les vaches. Bon fils, Amand n’hésite pas à écrire : «A mon retour, je pourrais toujours bien remercier ces gens-là».

Et quand c’est la fête au village, même s’il a le cœur bien gros, c’est jour de bombance avec «repas de prince».

Nous sommes dans le Land du Bade-Wurtemberg (Sud-Ouest de l’Allemagne) où se situaient les deux camps de prisonniers successifs (Stalag VA et Stalag VB) où aura séjourné notre captif. En raison de l’altitude (750 m. au stalag VA), le climat y est assez rigoureux. Ainsi, il souligne le 10 août 1941 que «les nuits sont déjà froides» et au cours de l’hiver 1943, il n’est pas rare de voir «un gros mètre de neige». Amand aura donc soin de bien entretenir ses vêtements et à aucun moment, il ne se plaindra d’avoir souffert du froid. Seules, les chaussures de mauvaise qualité lui poseront problème.

En juillet 1944, il rentre le foin et est content car «je suis sûr que c’est la dernière fois”, écrit-il. Ce message d’espoir aura dû échapper à la censure …

Quoi qu’il en soit, Amand Lauriers aura supporté sans jamais faiblir ces cinq longues années loin des siens dont le sort restera son souci constant : «Ont-ils du charbon pour se chauffer? Qu’ont-ils pour dîner ?». Un bel exemple d’altruisme dans le malheur.

Ci-dessous, Bibliotheca Floreffia vous présente le compte rendu de l’entretien de Josette Lauriers réalisé avec Michel Barbier. 

Josette Lauriers de Franière retrouve des courriers que son père Amand avait envoyés pendant sa détention en Allemagne de 1940 à 1945. Elle  confie ces missives à son voisin, Alain Denis, membre de Bibliotheca Floreffia, et marque son accord pour une insertion en vue d’une publication; une opportunité, selon son souhait,  de rendre hommage à son papa.

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Amand Lauriers, fils de Joseph et Jeanne Vandermies, né à Clabecq (aujourd’hui commune de Tubize en province de Brabant wallon), le 1er mars 1910, se marie en 1931 avec Simone Borremans, peu de temps après son service militaire au 3è régiment de cavalerie à Liège (photo ci-dessous). De leur union, naîtront deux filles, Odette en 1933 et Josette en 1939. L’aînée, Odette, fera sa communion privée en 1941 alors qu’il est prisonnier. Par la suite, Amand aura un petit-fils et trois arrière petits-enfants.

Avec les collègues de Bibliotheca Floreffia, nous décidons d’étoffer les documents reçus.

C’est dans ce but que nous rencontrons Madame Lauriers. Un après-midi de février 2022, Alain m’invite ainsi que sa voisine Josette. Installés tous trois confortablement dans le salon, nous l’écoutons attentivement évoquer la famille, ses souvenirs de jeunesse et répondre à nos interrogations.

‘’ Papa entame sa carrière de facteur à Clabecq  en 1932. Après quatre ans environ, maman  souffre d’une pleurésie sévère. Le médecin de famille, après en avoir débattu avec une infirmière employée en partie chez Solvay, décide de diriger la famille vers Franière pour respirer le bon air. C’est lui-même qui véhiculera la famille (parents et Odette) et les déposera à la rue des Cailloux.

La maison est expropriée en raison de l’aménagement du lit de la Sambre et la famille déménage à la rue de la Tannerie où mes parents resteront jusqu’à la fin de leur vie, maman en 1990 et papa en 2001.

Je nais le 19 février 1939, année de la mobilisation en septembre après l’invasion de la Pologne. Papa se retrouve mobilisé dans la région namuroise au Vème régiment d’artillerie de la 8ème division d’infanterie.  Plus tard peu après l’invasion, il est capturé à Gand le 29 mai 1940 et sera envoyé d’abord  au stalag V-A dans la région de Stuttgart, à Leutkirch. Après quelques semaines,  il est véhiculé jusqu’à une première ferme où il restera jusqu’à son transfert au stalag V-B près de Willingen.  Au départ,  il retourne chaque soir au stalag mais après quelque temps, il prendra ses quartiers à la ferme où il participe à la moisson. Il y reste jusqu’en mars 1943, ayant eu la chance d’être bien traité et surtout nourri. De plus, il se débrouille bien en allemand.

Ensuite, il sera transféré au stalag V-B à Willingen, en 1943, distant de 150 km, dans la région de Fribourg-en-Brisgau. Il m’a raconté que parfois, à la cuisine, il ajoutait des ingrédients peu appétissants dans certains plats ou desserts destinés au personnel allemand…

Au mois d’avril 1945, le stalag V-B est libéré. Les prisonniers sont livrés à eux-mêmes et doivent se débrouiller pour quitter l’Allemagne. La situation reste préoccupante car des groupes isolés se cachent encore dans les bois. Après quelques jours à pied et peut-être en vélo, il parvient à rejoindre la Suisse où il est interné.

Josette raconte que son papa est hébergé à l’université mais simplement …. pour brosser la cour.

Libération du camp :

Le stalag VB est libéré le 20 avril 1945, après la fuite d’une grande partie de son encadrement allemand.
Dès le matin, sur ordre, de nombreuses colonnes de prisonniers russes encadrées par des sentinelles allemandes armées, se dirigent vers la Suisse. A 19 h, l’Hauptmann Goetz s’enfuit à vélo, sac tyrolien au dos, révolver au ceinturon, mitraillette en bandoulière, coiffé d’une casquette souple et casque accroché au guidon, par les bois à la sortie de Willingen et suivant la dernière colonne… Durant la journée du 20 avril, les P.G. s’efforcent de rester calmes et de ne prendre aucune initiative prématurée, contre l’autorité encore présente. A 22 h, les chars de la 2e D.I.M. sont présents aux abords de la ville de Willingen et ne tardent pas à engager le combat avec quelques résidus de la Wehrmacht. Pendant ce temps, le Sturmbannführer (commandant SS) Schindler qui assure le remplacement du commandement du camp, se rend. Aussitôt les sentinelles mettent bas les armes et une section complète ainsi que quelques officiers, sont faits prisonniers par les P.G. Le 21 avril, derrière l’église de Willingen, un des chars est atteint dans sa tourelle par un panzerfaust . Le samedi 22 avril au soir, l’infanterie française arrive et est accueillie par des tirs d’éléments ennemis cachés dans les maisons de la ville. Aidée par des P.G. désormais libérés et armés répandus en ville, le maire ne tarde pas à faire élever des drapeaux blancs sur tous les bâtiments. Dès le 25 avril, le rapatriement des P.G. commence à pied et par leurs propres moyens. Parmi ceux-ci, certains parlant allemand, sont réquisitionnés par le C.Q.G. afin d’occuper des postes de surveillance et d’administration. Ils sont également nommés chef de district ou occupent des postes de choix. Aux alentours de Willingen, dans les plus importantes bourgades, ils sont chargés de la recherche des nazis. Perquisitions et arrestations sont nombreuses et en dix jours, le stalag VB est à nouveau rempli, mais cette fois on parle allemand à l’intérieur des barbelés.
https://militaria1940.forumactif.com/t2268-essai-d-historique-sur-le-stalag-vb 
https://militaria1940.forumactif.com/t1240-camps-de-prisonniers-de-guerre-doc-5e-bureau?highlight=stalag+Vb

Les documents ci-dessus nous ont été fournis par le CICR (Comité International de la Croix-Rouge) grâce à l’intervention d’Alain Denis.

En juin 1945, il débarque à Paris et rejoint Clabecq pensant y rencontrer sa famille. Mais,  surprise,  les retrouvailles sont reportées de quelques heures, Odette, Josette et son épouse  l’attendant à Franière.

Je me souviens de ce jour-là : « J’étais dans la classe de sœur Mathilde. Vers 13h00, Blanche Marchal, une connaissance de mes parents, vient à l’école et m’annonce le retour de mon papa. Quelle surprise! Sans perdre un instant nous nous précipitons sur le quai de la gare de Franière.  Peu de temps après, le train siffle annonçant son entrée. Ensuite,  le convoi s’arrête au milieu d’un nuage de vapeur.  Les portes s’ouvrent, un groupe de voyageurs descend, maman  nous prend  la main et  se précipite vers celui qu’elle a repéré dès le premier regard: son époux enfin de retour !

Après la prière du soir, dans notre lit, maman, ma sœur Odette et moi avions répété pendant cinq années : « Bonsoir papa, dormez bien et à demain. ». Après autant de temps, les yeux écarquillés,  je le découvre et  savoure sa présence en m’écriant : j’ai enfin un papa comme les autres … qu’il est joli !

Les voisins et connaissances sont invités à la maison où l’on chante et prend un verre. Blottie tendrement dans les bras de mon papa,  j’assiste à ces moments de joie.

Article signé par René Bodson, Vers l’Avenir, 23/08/2001.

Ci-dessous, nous reproduisons un extrait de la liste des prisonniers du Stalag VA et VB dans laquelle figure parmi d’autres, Amand Lauriers.

Enfin, voici la correspondance échangée entre Amand et sa famille, transcrite pour plus de clarté.

Ma chère petite femme, mes enfants chéris, voilà 15 mois exactement que je vous ai quittés et pour combien encore.
Mais voilà, prenons courage, espérons toujours nous reprenons alors une vie beaucoup plus belle qu’auparavant car après une pareille séparation, on comprend ce que c’est une famille.
Comment va la famille, j’espère que tout le monde se porte bien, que tu trouves ton nécessaire. Moi, aujourd’hui, j’ai le cœur bien gros, c’est la fête au village, alors repas de prince et musique; à chaque fois que je me mets à table, je me dis tout de même! Si j’avais ma famille ici, car là-bas qu’ont-ils pour dîner ?, ont-ils du charbon pour se chauffer ? Comment le temps est-il en Belgique ? Ici, de la pluie et du vent les nuits sont déjà froides.
La deuxième récolte de foin ne sera pas bonne ; quant aux grains, il n’y en a presque pas dans la contrée à cause du climat; 750 mètres d’altitude.
Pour le colis, bien difficile de vous l’envoyer.
Le premier, j’enverrai quelque chose au nom des parents, vous devinerez pourquoi et si vous êtes bien sages, ça suivra tous les deux mois. Compliment aux heureux camarades des Postiers et autres car quelle que soit la vie en Belgique, je voudrais être parmi eux. Odette va-t-elle à l’école ? Josette est-elle toujours aussi gaie ?
Ici, le travail n’est pas trop dur, je suis considéré comme le fils de la maison; à mon retour, je pourrai toujours bien remercier ces gens-là. Le fermier a acheté une machine à traire, donc la plus dure des besognes est faite.
Je termine ma lettre en vous embrassant bien fort ainsi que tous les parents
Amand

Ma chère petite femme, mes chéries Odette, Josette.
C’est avec plaisir que j’ai reçu votre carte; tu me dis que tu te portes mieux et que les enfants sont bien.
Ce qui me fait grand plaisir. Moi, toujours bien portant mais le cafard bien des fois, je me demande si je retournerai encore. Tu me dis aussi qu’il fait bon à Franière;  ici, toujours de la neige et froid pour le corps,  je suis bien préservé mais les souliers! Quel malheur: toute la journée les pieds mouillés, c’est vraiment malheureux que la Croix-Rouge s’occupe si peu de nous.
Aussi pour le moment, je suis sans tabac, ce qui rend  les idées encore plus noires. Ne t’en fais pas trop pour cela, ici nous sommes tous les mêmes, surtout ne dépense pas ton argent pour cela; soigne-toi et les enfants: j’espère que ce calvaire finira bientôt et nous comprenons mieux la belle vie qu’on avait. Aujourd’hui, je t’envoie trente marks ce qui t’aidera un peu en ces moments si difficiles. Ne pourrais-tu pas demander à Léon ou Alfred s’ils n’ont pas une vieille paire de guêtres, ça me ferait grand plaisir.
En même temps que cette lettre, je t’envoie deux étiquettes; quand tu reçois les sous, dis-moi la somme. Dis aux enfants d’être bien sages. Attention, je suis changé de stalag, je suis maintenant au VB dans la Forêt Noire, change les étiquettes anciennes. Meilleurs baisers.
Amand

Ma chère petite femme, mes chères petites filles.
Très heureux de vous écrire cette petite lettre: comment allez-vous? Je crois que la santé est bonne, ici je suis toujours bien portant. Je crois revenir bientôt, peut-être que pour la kermesse de septembre, on fera une bonne polka. Que fais-tu pour passer le dimanche? Moi aujourd’hui, j’ai réparé mon pull-over mais voilà, il me manque de la soie et des aiguilles, pourrais-tu m’envoyer pour la soie la plus grosse possible, au moment que je t’écris, il pleut et tonne très fort, car hier il a fait vraiment chaud.
J’ai fini à remettre le foin, je suis content, car je suis sûr que c’est la dernière fois. Les parents comment vont-ils, Clabecq n’a-t-il pas souffert trop des bombardements? Une petite chose à te dire tout bas, si tu m’aimes, envoie-moi du tabac. Embrasse  bien tout le monde de ma part. 1000 baisers
Amand

Bien reçu votre carte avec joie, heureux de savoir la famille en bonne santé. Tant qu’à moi toujours de même, bien portant bien soigné. Ne souffrez-vous pas trop de l’hiver? Moi ici ça va, beaucoup de neige un gros mètre, mais je ne sors pas, à part que je conduis les enfants du patron à l’école avec un traîneau et un cheval. Donc, ne vous en faites pas sur mon sort, il y a plus malheureux que moi, hein ? Prenez courage nous en sortirons encore de cette guerre comme de l’autre, en bonne santé. Je vous envoie une étiquette comme vous me le demandez, ne mettez que du tabac; autre chose, il ne me manque de rien.
Avez-vous reçu le mandat ? Sinon écris-le au plus vite, je réclamerai. Que fais-tu ? Papa vas-tu encore à la pêche ? Et Angèle et Théophile, que font-ils? Ils ne m’ont jamais écrit.
Compliment à toute la famille ainsi qu’aux copains Félix et Ferdinand; Armand Denayer est-il toujours prisonnier ? Encore bon courage
Recevez chers parents mes meilleurs baisers
Amand

Nous remercions chaleureusement madame Josette Lauriers pour sa disponibilité et son témoignage ainsi que pour le prêt des photos. 

Alain Denis, Michel Barbier et l’équipe Bibliotheca Floreffia 

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